L'arbre fougère

Je sais, dans ma forêt natale,
Un arbuste, enfant des hauts lieux :
Fière est sa tige orientale,
Fier son feuillage harmonieux.

Verte et voisine des nuages,
Sa tête, dans le bleu des airs,
Fleurit sur les cimes sauvages
Comme la grâce des déserts.

Des rochers d'où sa flèche émerge,
Jusqu'au ciel il porte la voix
Du furtif oiseau de la Vierge
Et du merle ami des grands bois.

Les pleurs dont sa palme est mouillée,
Sont tombés du nuage errant ;
Jamais sa feuille n'est souillée
Par l'eau fangeuse du torrent.

Sur les pics, en pleine lumière,
Debout sur les gouffres béants,
Sa tige dans sa grâce altière
Croît au milieu d'arbres géants.

C'est le roi svelte des arbustes.
Couronné de grappes de fleurs,
Son front, du sein des bois robustes,
Monte et flotte au niveau des leurs.

Près de ces arbres centenaires
A le voir fleurir, on dirait
Un frère auprès de ses grands frères,
Le Benjamin de la forêt.

L'air est tranquille et sans nuages
Sur ses beaux rameaux déployés.
Loin sous lui roulent les orages ;
Leur voix ne passe qu'à ses pieds.

A ses pieds la brise légère,
Douce habitante du rocher,
Fait monter la senteur amère
De l'ambaville et du pêcher.

A ses pieds où les palmes douces
Balancent l'ombre et la fraîcheur,
L'herbe jeune, les tendres mousses
Font un lit vierge au voyageur.

A ses pieds l'arôme des plaines,
L'éclat mol et tiède des cieux,
Le bruit des chutes d'eau lointaines,
Tout repose l'âme et les yeux.

Et l'on s'oublie a son ombrage ;
Et, levant un front plus léger,
On part, bénissant le feuillage
De l'arbre ami de l'étranger.

Auguste Lacaussade, poète réunionnais (1817-1897)
Poèmes et paysages, 1844