Silence, ça pousse

Il était une fois, dans la forêt d'Europe, trois grands seigneurs qui régnaient en maître. Castanea dit châtaignier, vigoureux et généreux. Quercus : le chêne robuste à la longévité légendaire et enfin le Hêtre dit fagus, connut pour être droit, fier et dominateur.

Tous les trois appartenaient à la famille des cupulifères car une cupule ou petite coupe écailleuse ou épineuse enveloppe la base de leurs fruits.

Aujourd'hui, la famille s'est élargie et se nomme fagacée ; elle désigne tous les arbres capables de porter à la fois des fleurs femelles et des fleurs mâles. Fagus, le hêtre, en est donc le parrain.

Le hêtre est connu pour être dominateur et un peu profiteur. Voilà pourquoi : quand Fagus est petit, il a absolument besoin de l'ombre des autres arbres pour germer et se développer. À l'inverse, en futaie lorsqu'il atteint les 40 mètres de sa taille adulte, il déploie une ombre si épaisse, qu'il ne laisse aux autres arbres aucune chance de se développer.

Après avoir abusé d'arbre moins sensible à la chaleur, le hêtre fait le vide autour de lui. Pourtant, nous l'aimons... Nous l'aimons pour son tronc, droit comme une colonne ; nous l'aimons pour son écorce : cette peau si fine, lisse et fragile, mais heureusement dotée d'une excellente capacité à cicatriser ; et puis nous l'aimons pour ses feuilles marcescentes qui, si l'arbre est taillé, refusent de tomber en hiver.

Faiblesses

Mais comment ne pas s'apitoyer devant ses faiblesses ? Si le hêtre exige un climat doux et surtout humide –voire très humide–, c'est qu'à l'intérieur de son tronc, ses veines sont très fines.

À tel point qu'elles ne peuvent pas conduire suffisamment de sève aux feuilles qui, paradoxalement, transpirent énormément. Ainsi, en une journée, s'évaporent à partir d'un hectare de hêtraie pas moins de 40.000 litres d'eau, soit deux fois plus qu'à partir d'une chênaie !

Voilà pourquoi le hêtre se porte si bien dans les vastes étendues d'Europe Centrale, ou encore en Normandie. En France il couvre d'ailleurs à lui tout seul 1 million deux cent mille hectares !

Le bois du hêtre est une mine d'or. D'abord, parce que ses branches font un excellent bois de chauffe. Mais c'est surtout en menuiserie et en ébénisterie qu'il triomphe. Alors la finesse de ses veines devient un atout.

Du hêtre partout

Dans la texture de son tronc très homogène, l'aubier (où coule la sève) se distingue peu du cœur, ce qui fait que le hêtre se déroule à volonté pour devenir des boîtes... se sculpte et ce sont des cadres... se scie pour se transformer en meubles... se taille et voici des sabots, des cuillères, des manches d'outils... Du hêtre, partout du hêtre, et toujours en finesse.

Enfin, quand Fagus voit rouge, c'est pour devenir un magnifique arbre d'ornement : le hêtre pourpre ("fagus purpurea"), que l'on apprécie depuis 1680.

Dans chaque région, le hêtre a un nom différent : fay, fau, fayard, fouteau, fou, et bien d'autres encore. Mais ce fou-là, soyons juste, n'a de folie que sa grandeur.

source : http://www-org.france5.fr/jardinage/002258/100/13423.cfm