Entre hiver et printemps
	  Mais à l'instant où je m'y attendais le moins, 
      le paysage changea. Je traversai une rangée d'aulnes et me trouvai 
      dans un verger de paradis murmurant de ruisseaux, tout empli d'une senteur 
      un peu acide de jacinthes. Les minces bouleaux blancs, sans ombre, frémissaient.
      Je baignai mes pieds dans le courant glacé et, plus tranquille, je 
      repris ma promenade. Une seconde fois ce fut le désert, mais un désert 
      ordonné comme un jardin. Sur la roche à nu, les lichens bruns, 
      parsemés de touffes d'armoise et de lavande naine, quelques buissons 
      de genévrier sabine formaient des massifs sombres. Le entier de fine 
      poussière blanche tournait sur ce plateau qui dominait la plaine. 
      En dessous de moi volaient les chocards. Je n'apercevais plus le hameau. 

      De nouvelles surprises m'attendaient. D'abord une forêt de pins noirs 
      et je marchai dans cette nuit, traversée de bisses, comme de voies 
      lactées qui se perdaient sous les arbres pour aller se jeter là-bas 
      dans le torrent.
      Les pins, ici, peut-être à cause de l'inclinaison du sol et 
      de sa pauvreté, avaient des formes insolites : les chênes aussi, 
      les saules, les argousiers. En vérité, tout ici était 
      autre.
      Revenue sur le plateau, je ne retrouvai plus le premier chemin. 
      Celui que je suivais m'entraîna vers un amoncellement de troncs ébranchés, 
      prêts à glisser dans un vaste dévaloir sur lequel je 
      me penchai. Et que vis-je tout en bas ? Le hameau. Il m'apparut comme au 
      fond d'une lorgnette tournée à l'envers, lointain à 
      me donner le vertige et à la fois si net, si précis dans ce 
      cercle qui l'excluait du monde. 
      Il me semblait qu'autour de moi, avec le bruit du vent revenu, déferlait 
      une eau invisible. Et plus je m'approchais du hameau, plus je croyais entrer 
      dans le pays sans mémoire. 
    

Corinna Bille (Sierre 1912 - 1979)