Le Champborne (extrait)

Des arbres cependant que Dieu même a plantés,
Quelques-uns de la hache ont été respectés :
De nos bois les plus beaux, fiers et derniers vestiges,
Ils se dressent encor dans l'orgueil de leurs tiges,
Et, tandis qu'un ciel bleu baigne leur front serein,
Des grenadiers en fleur couvrent leurs pieds d'airain.

D'ici je vois encor, dans leur stature énorme,
Ceux qui de la maison bordaient la plate-forme.
C'est là qu'après des jours d'accablantes chaleurs,
Les Noirs, venus des champs aux tombantes lueurs
D'un beau soir, attentifs au vieux chef qui commande,
S'assemblaient pour répondre à l'appel ; puis la bande
Se divisant, les uns préparaient le repas,
Les autres s'asseyaient en attendant, hélas !
Qu'avec l'ombre et le calme et l'oubli de leur peine
Le sommeil descendît sur leurs têtes d'ébène.

Quelquefois l'un d'entre eux, - tandis que dans les cieux
Les astres agitaient les cils d'or de leurs yeux,
Et que la lune blanche aux lueurs fortunées
Argentait des palmiers les feuilles satinées, -
Debout dans la lumière et les regards baissés,
Quelquefois l'un d'entre eux, écoutant ses pensées
Et du soir respirant la fraîcheur molle et sobre,
Disait, accompagné des sons plaintifs du bobre,
À ses noirs compagnons sur les herbes assis,
La naïve chanson qu'on chantait au pays.

Auguste Lacaussade, poète réunionnais (1817-1897)
Poèmes et paysages, 1844