Le chêne(2/2)
	               Et son vaste et pesant feuillage,  
        Répandant la nuit alentour,  
        S'étend, comme un large nuage,  
        Entre la montagne et le jour ;  
        Comme de nocturnes fantômes,  
        Les vents résonnent dans ses dômes,  
        Les oiseaux y viennent dormir,  
        Et pour saluer la lumière  
        S'élèvent comme une poussière,  
        Si sa feuille vient à frémir!

        La nef, dont le regard implore  
        Sur les mers un phare certain,  
        Le voit, tout noyé dans l'aurore,  
        Pyramider dans le lointain !  
        Le soir fait pencher sa grande ombre  
        Des flancs de la colline sombre  
        Jusqu'au pied des derniers coteaux.  
        Un seul des cheveux de sa tête  
        Abrite contre la tempête  
        Et le pasteur et les troupeaux !

        Et pendant qu'au vent des collines  
        Il berce ses toits habités,  
        Des empires dans ses racines,  
        Sous son écorce des cités ;  
        Là, près des ruches des abeilles,  
        Arachné tisse ses merveilles,  
        Le serpent siffle, et la fourmi  
        Guide à des conquêtes de sables  
        Ses multitudes innombrables  
        Qu'écrase un lézard endormi !

        Et ces torrents d'âme et de vie,  
        Et ce mystérieux sommeil,  
        Et cette sève rajeunie  
        Qui remonte avec le soleil ;  
        Cette intelligence divine  
        Qui pressent, calcule, devine  
        Et s'organise pour sa fin,  
        Et cette force qui renferme  
        Dans un gland le germe du germe  
        D'êtres sans nombres et sans fin !

        Et ces mondes de créatures  
        Qui, naissant et vivant de lui,  
        Y puisent être et nourritures  
        Dans les siècles comme aujourd'hui;  
        Tout cela n'est qu'un gland fragile  
        Qui tombe sur le roc stérile  
        Du bec de l'aigle ou du vautour !  
        Ce n'est qu'une aride poussière  
        Que le vent sème en sa carrière  
        Et qu'échauffe un rayon du jour !

        Et moi, je dis : Seigneur ! c'est toi seul, c'est ta force,  
        Ta sagesse et ta volonté,  
        Ta vie et ta fécondité,  
        Ta prévoyance et ta bonté !  
        Le ver trouve ton nom gravé sous son écorce,  
        Et mon oeil dans sa masse et son éternité !   
        

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Harmonies poétiques et religieuses


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