Mystère sous les arbres

Emilie et Martin contournèrent un bâtiment derrière lequel on apercevait de grosses branches. Déception ! Un bouquet d’arbres déployait bien ses bras gigantesques, mais derrière un très haut mur. Seul, coupé de ses congénères, un vieux chêne poussait du côté de la cour d’école. Les racines, énormes, couraient comme des boas pétrifiés sous la croûte de bitume. Le tronc portait les blessures infligées par des générations d’écoliers et pourtant il s’en dégageait une impression de puissance qui frappa Emilie.

Un souffle de vent entraîna un nuage de feuilles mortes qui glissèrent sur le sol avec un bruit de papier sec. Martin shoota dans ces ballons imaginaires et s’éloigna.

Emilie  posa la main sur l’écorce du chêne. Elle perçut alors des soupirs et des murmures, comme si autour d’elle, invisibles, respiraient mille bouches. Un peu effrayée, Emilie fouilla des yeux le réseau des branches. Rien dans le feuillage clairsemé du chêne. Elle tourna la tête : dans la cour, personne. Seulement les arbres au-delà du mur avec leur carrure de géant. Et ça continuait de plus belle. Comme si l’air parlait. Ou le chêne. Emilie frissonna, oppressée. Est-ce qu’elle entendait des voix ? Ou bien est-ce que ça venait de derrière le très haut mur ?

Soudain, Martin revint en courant, poursuivi par un homme armé d’un râteau et d’un balai.

- Qu’est-ce que vous faites là, les gosses ? s’écria le balayeur en colère.

Emile s’expliqua. L’homme se calma d’autant plus vite qu’elle s’intéressa à son travail. Chaque soir, il nettoyait la cour.

- Ces bon dieu d’arbres, à côté, ils lâchent des kilos de feuilles !

- Mais c’est pas sale, les feuilles ! protesta Martin.

- Que tu dis ! Si je les ramasse pas, ça pourrit sous la pluie. Les gosses dérapent, ils se cassent la figure, et ça fait du vilain avec les parents !

Emilie détourna la conversation et demanda ce qui se cachait derrière le très haut mur.

- Un parc. Et le Manoir Delbauve. Ça date d’au moins deux ou trois cents ans.

- C’est habité ?

- Y’a une vieille demoiselle Delbauve, toute desséchée. Et pis un serviteur encore plus desséché qu’elle ! Tous les deux mabouls, à mon idée !

Les habitants du Manoir sortaient peu. Parfois ils disparaissaient pour un mois ou deux, après avoir extrait du garage une voiture aussi poussive qu’un coléoptère.

Le balayeur cracha par terre : si on l’écoutait, on obligerait la Delbauve à élaguer et il n’aurait pas à se casser le dos avec ces damnés tas de feuilles.

- Sacrée vieille momie ! Têtue comme une mule avec ses fichus arbres !

Emilie n’en apprit pas davantage : Jane Noëns sortit du bureau de la directrice et appela ses enfants. Emilie jeta un dernier coup d’œil au chêne qui se détachait sur le ciel du soir. Elle percerait le mystère des voix. Et s’il le fallait, elle affronterait la « vieille momie » du Manoir Delbauve.

Hélène Kérilis