La place de l'arbre
dans la mythologie germano-scandinave |
Introduction
Historiquement, chez les Européens de l'ensemble germanique
(comme sans doute chez d'autres peuples), l'arbre et la forêt
ont tenu une place de premier ordre. Bien évidemment
pour les propriétés du bois en tant que tel, qui a permis de
construire des habitations, des statuettes religieuses, des
bateaux (tels les drakkar), qui a permis de se chauffer, de
se chausser (sabots en bois), de chasser (arcs, lances), de
réaliser des enclos (avec du bois mort ou des haies plus ou
moins travaillées), etc.
Au-delà de cet aspect utilitaire (et vital), l'importance paraît
plus grande encore. Par exemple, dans le Hainaut français (lieu
de colonisation germanique avec les Saxons puis les Francs saliens
et ripuaires), la toponymie est explicite: le Quesnoy (la chênaie),
le Quesnes-au-leu (le chêne au loup en patois), Fresnoy-le-grand
(la frênaie), Frasnoy, Aulnoye (aulnaie), Tilloy les Marchiennes
(tilleul), sans parler des Preux-au-bois, Vendegies-au-bois,
Raucourt-au-bois et de nombreux autres villages qui témoignent
de l'importance accordée aux forêts. A ce sujet notons que pour
cet article les termes « bois » et « forêt » seront considérés
comme synonymes, bien que l'époque moderne considère que le
terme « forêt » s'applique aux bois exploités par l'homme (d'où
des redondance apparentes dans certains noms comme la « forêt
domaniale de bois-l'évêque »).
L'importance de la forêt chez les peuples germaniques s'exprime
aussi dans la stratégie militaire: Arminius vainquit les Romains
(habitué aux formations en lieux découverts) en les entraînant
dans une forêt.
- I) L'arbre, objet de culte
Les anciens chrétiens ne s'y sont pas trompés, tel « Saint »
Boniface qui abattit en 723 un chêne légendaire (arbre sacré
des Frisons consacré à Donar/Thorr) pour prouver aux païens
que ce culte sylvestre n'était qu'idolâtrie. Il est dit
que les païens présents s'attendaient à voir la foudre s'abattre
lors de l'abattage de l'arbre; mais Donar ne s'étant pas manifesté,
ils se seraient alors convertis. Ce récit a sans doute été enjolivé
par l'église; pour ma part j'y vois l'aveuglement fanatique
d'un « saint » incapable de percevoir le sacré dans la Nature
et n'ayant pas réussit (ni même sans doute essayé) d'établir
un lien avec un être vivant que l'on peut supposer plus que
millénaire. Il en va de même lorsque Charlemagne, sans doute
pour des raisons politiques, abattit l'Irminsul des Saxons en
772.
Cela n'a pas empêché de nombreuses traditions de type religieux
de s'organiser autour de l'arbre à travers les âges. Ainsi il
y a quelques années, à la Pentecôte, lors de la traditionnelle
troménie de Landeleau (Finistère), une procession dédiée à saint
Télo, l'évêque de Quimper s'était fâché d'assister à une scène
surprenante. «Arracher des bouts d'écorce du chêne de Saint-Télo
en guise de talisman, c'est une pratique païenne que condamne
l'Église», avait déclaré le prélat fraîchement nommé
dans la région. L'écorce était considérée comme un porte-bonheur.
Nous pouvons aussi mentionner le tilleul aux épousailles de
Lucheux (nord de la Picardie), dans lequel doivent passer les
couple fraîchement mariés. Ou encore ces arbres des Flandres
françaises couverts de loques appartenant à un malade, afin
de lui apporter guérison...
Nous pourrions multiplier les exemples à volonté. Juste pour
l'amusement, voyons comme l'église justifie cela... Sur le chêne
de Bonnoeuvre (Loire-Atlantique), les loques sont remplacées
par des clous que les pèlerins plantent dans le tronc après
en avoir fait sept fois le tour. «Le clou qui a touché la partie
malade d'une personne est planté dans le tronc pour lui transférer
le mal», explique James Eveillard, coauteur d'un ouvrage sur
les croyances populaires en France. Voici la réaction du prêtre,
Clarisse: «Ce clou est un symbole, assez révélateur du mélange
des croyances dans les rites populaires, car il fait probablement
référence aux clous du Christ sur la Croix». Eh oui, l'église
arrive même à récupérer des « rituels » n'ayant rien de chrétien
!

Tacite, dans son ouvrage De origine et situ Germanorum écrit
en 98, fait-il part de rites liés aux arbres ou à la forêt?
Eh bien oui! Lisons la fin du chapitre IX:
« D'autre part, conscients de la majesté des dieux, les Germains
ne conçoivent pas de les emprisonner dans des murs ni de les
représenter à l'image de l'homme. Ils leur consacrent des bois
et des bosquets et donnent des noms de divinités à ce mystère,
que seul leur sens religieux leur fait voir. »
Poursuivons avec le chapitre suivant: « Ils manifestent le plus
grand respect envers les auspices et les oracles. Voici leur
procédé oraculaire, tout simple d'ailleurs. On coupe une petite
branche d'un arbre fruitier, on la dépouille de ses rejetons,
que certains signes permettront de reconnaître, et on les éparpille
au hasard sur un tissu blanc. »
Dans la description du culte de Nerthus, toujours une référence
à un bois sacré: « Dans une île de l'Océan est un bois consacré,
et, dans ce bois, un char couvert, dédié à la déesse. Le prêtre
seul a le droit d'y toucher ; il connaît le moment où la déesse
est présente dans ce sanctuaire ; elle part traînée par des
génisses, et il la suit avec une profonde vénération. Ce sont
alors des jours d'allégresse ; c'est une fête pour tous les
lieux qu'elle daigne visiter et honorer de sa présence. »
Voilà donc quelques exemples de l'aspect religieux liés à l'arbres
dans l'histoire et les histoires. Mais pourquoi cet aspect religieux?
En quoi l'arbre est-il considéré comme sacré dans nos légendes?
- II) Yggdrasil et Irminsul

Yggdrasil,
le "destrier du redoutable".
Yggdrasil est dans la religion germano-nordique le pilier,
le soutien de l'univers. Considéré comme un Frêne (arbre très
vivace) ou un If (feuillage persistant ; contient une toxine
alcaloïde qui affecte le système nerveux central et qui, correctement
préparé, peut être hallucinogène, de même que si l'on repose
sous un if un jour de forte chaleur), la rune Eihwaz peut lui
être associée: c'est l'axe vertical du monde, symbole de vie
et de mort, garant de l'équilibre. La rune est un vecteur de
communication, et non de séparation ; tout comme Yggdrasil qui
relie l'ensemble des mondes de l'univers, qui en est la colonne
vertébrale.
Yggdrasil, c'est aussi l'arbre éternel, invincible, qui survivra
au Ragnarök, même s'il « se mettra à trembler ». Bien que ses
racines soient rongées par Nídhögg et son feuillage brouté par
un cerf et une chèvre, il reste toujours aussi résistant. A
propos de cet aspect d'éternité, nous pouvons aussi mentionner
un autre arbre de nos légendes qui a son importance (et non
des moindres): le pommier. En effet, la déesse Idunn (nom signifiant
probablement « celle qui rajeunit ») est la détentrice des pommes
qui permettent aux dieux de conserver leur jeunesse jusqu'au
Ragnarök. Le vol des pommes à cause de Loki qui l'a entraînée
dans une forêt est un épisode célèbre de la mythologie germano-scandinave.
Yggdrasil c'est aussi la source du savoir. Tout d'abord parce
qu'à son pied se trouve la fontaine de Mimir, source de sagesse
et d'intelligence à laquelle Odin vint boire. Pour ce faire,
il dut donner en gage l'un de ses yeux. Odin ira consulter la
source lors du déclenchement du Ragnarök.
Ensuite par le fait que la pendaison d'Odin durant neuf nuits
et neufs jours se fit sur cet arbre; c'est lors de cette pendaison
qu'Odin ramassa les runes en hurlant et acquis un savoir extraordinaire.
Cet arbre qui est « le plus grand et le meilleur de tous les
arbres » (quinzième chapitre de la Gylfaginning) a donc indirectement
un rôle de dispensateur du savoir à qui consent des sacrifices.

Irminsul,
le pilier du monde.
Il convient enfin de nommer ici un autre arbre majeur chez certains
peuples germaniques: Irminsul. Son étymologie signifie
« grand, majestueux, puissant, immense, « qui englobe le tout
». Là encore il s'agissait de l'arbre colonne vertébrale du
multivers. On lui rapproche le rune Tyr dont le graphisme rappelle
celui d'Irminsul (la voûte du ciel soutenue par la colonne universelle).
Cet axis mundi permet de relier la terre au ciel ; là encore
l'aspect de communication (et même de transcendance) est évident.
Cet rune est à connotation spirituelle et symbolise l'ordre
du monde et la justice (un petit lien: la justice se rendait
souvent sous un arbre...).
- III) Ask & Embla: l'humanité en lien avec les arbres
Au 9ème chapitre de la Gylfaginning, à la question « Mais d'où
viennent les hommes qui habitent sur terre? », le Très-Haut
(Odin) répond : « alors que les fils de Bor [Odin, Vili et Vé]
marchaient le long du rivage de la mer, ils trouvèrent deux
troncs d'arbres. Ils les relevèrent et façonnèrent deux hommes
: le premier leur donna le souffle et la vie, le second l'intelligence
et le mouvement, le troisième l'apparence, la parole, l'ouïe
et la vue. Il leur donnèrent aussi des vêtements et des noms
: l'homme fut appelé Ask et la femme Embla. Ce fut d'eux que
naquit la race humaine, laquelle fut établie sur des terres
protégées par Midgard. ».
Boyer donne une traduction légèrement différente de celle de
Dillmann : « ils trouvèrent deux souches d'arbres et les prirent
et en façonnèrent des êtres humains ».
Celane change pas fondamentalement la signification: c'est à
partir d'arbres que les humains prirent forme et vie. Ce fait
à lui seul prouve l'importance majeure de ces solides végétaux
qui s'enracinent dans la terre et s'élèvent vers le ciel. Le
nom des deux premiers humains n'est pas anodin: Ask signifie
« frêne » et Embla « Orme ». L'origine de l'humanité, pour les
peuples germano-scandinaves, ce n'est pas le singe, mais l'arbre,
animé par le premier des dieux.

Ask et Embla:
statue dans la ville de Sölvesborg (Suède).
Qu'en est-il du Ragnarök, qui est presque la fin de l'humanité?
L'arbre y joue-t-il encore un rôle? Évidemment! Reprenons
l'Edda de snorri Sturlusson traduite par Dillmann: les deux
derniers humains, Lif et Leif-Thrasir (« Vie » et « Vivace »
selon Boyer), « se cacheront dans le bois de Hoddmimir, et de
la rosée du matin ils se nourriront. Ce sont d'eux que les hommes
naîtront ».

La boucle est bouclée ! L'humanité, façonnée à partir d'arbres,
trouvera son salut dans un bois (le « trésor de Mimir »).
Texte de Ludovic Deloraine (auteur du roman basé sur
la mythologie scandinave "Le Clan Fimbulsson")
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