Le baron perché extrait (page 1 sur 5)

Côme était dans son yeuse. Les branches s'agitaient, ponts jetés très loin au-dessus du sol. Un léger vent soufflait et le soleil brillait au travers du feuillage. Pour apercevoir Côme, nous devions faire un abat-jour de nos mains. Côme regardait le monde du haut de son arbre : tout, vu de là, était différent. C'était un premier sujet d'amusement. L'allée apparaissait dans une tout autre perspective, et après elle les plates-bandes, les hortensias, les camélias, la table de fer sur laquelle on prenait le café dans le jardin. Plus loin, les chevelures des arbres étaient de plus en plus clairsemées ; les potagers devenaient de petits champs échelonnés, soutenus par des murs de pierre ; le dos de la colline, plus sombre, était couvert d'oliveraies ; derrière, le hameau d'Ombreuse offrait ses toits de brique et d'ardoise ; en bas, on voyait pointer les antennes des bateaux : là se trouvait le port. Tout au fond, c'était la mer, haute sur l'horizon; lentement passait un voilier.
Après le café, le Baron et la Générale sortirent dans le jardin. Ils regardaient un rosier, affectant de ne pas accorder à Côme la moindre attention. Ils se donnaient le bras, puis se séparaient pour discuter en gesticulant. Pour ma part, j'allai sous l'yeuse, comme si j'y voulais jouer ; en réalité, je m'efforçais d'attirer l'attention de Côme. Mais lui me gardait rancune et restait là-haut immobile, le regard au loin. Je renonçai à ma tentative et m'accroupis derrière un banc, afin de pouvoir l'observer sans être vu.
Mon frère semblait en sentinelle. Il regardait tout à l'entour et ne trouvait rien de notable. Parmi les citronniers une femme passait, avec une corbeille. Un muletier montait la pente, accroché à la queue de sa mule. Ils ne s'étaient pas aperçus : au bruit des sabots ferrés, la femme se retourna et se pencha vers la route ; mais trop tard. Elle se mit à chanter : le muletier, qui avait déjà dépassé le tournant, fit claquer son fouet, dit : Aah ! à sa mule, et tout finit là. Côme, lui, voyait l'un et l'autre.
L'abbé Fauchelafleur traversa l'allée, son bréviaire ouvert. Côme prit quelque chose sur sa branche et le lui fit tomber sur la tête ; je ne vis pas ce que c'était, une petite araignée, ou un morceau d'écorce ; l'Abbé ne fut pas touché. Côme se mit à fourrager de sa petite épée dans un trou : il fit sortir une guêpe furieuse, la chassa en jouant de son tricorne et suivit des yeux le vol de la bête jusqu'à un plant de courge dans lequel elle se blottit. Vif comme toujours, Monsieur l'Avocat sortit de la maison, prit le petit escalier du jardin et se perdit dans les cordons de vigne ; pour voir où il allait. Côme grimpa sur une autre branche. On entendit un bruissement dans le feuillage et un merle s'envola. Côme, vexé d'être resté tout ce temps dans l'arbre sans avoir rien remarqué, examina le feuillage à contre-jour pour voir s'il ne s'y trouvait pas d'autres oiseaux. Non, il n'y en avait pas.
L'yeuse était proche d'un orme : leurs chevelures se touchaient presque et deux branches passaient à un demi-mètre l'une au-dessus de l'autre. Il ne fut pas difficile à mon frère de franchir ce pas et de conquérir la cime de l'orme : nous n'avions jamais exploré celui-ci, tant ses ramures étaient hautes et grande la difficulté de s'y hisser en partant du sol. De l'orme, en cherchant une branche qui coudoyât un autre arbre, on pouvait passer d'abord sur un caroubier, puis sur un mûrier. C'est ainsi que je vis Côme avancer d'une branche à l'autre, toujours planant au-dessus du jardin.


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