Nouvelle, auteur inconnu

Chapitre 3 : Sous le pont six périssoires tiraient sur leur chaîne, attendant un hypothétique client de fin de saison avant d'être rangées au sec dans le hangar du loueur pour le grand sommeil hivernal. Le gamin leur lança un coup d'oeil d'envie en rêvant au jour où il serait suffisamment grand pour que ses grands-parents lui permettent d'emprunter l'une de ces embarcations. Ce serait alors le grand départ, au balancement silencieux de la double pagaie l'esquif glisserait vers le milieu du fleuve laissant sur sa droite la rampe pavée et sa plate-forme de béton. Ensuite ce serait l'aventure, porté par une eau profonde toute frémissante de tourbillons le hardi navigateur viendrait longer la falaise des Vernelles en haut de laquelle il pourrait apercevoir la maison de Maurice Genevois. Maurice Genevois "le monsieur qui écrit des livres"personnage mythique jamais aperçu mais qu'il ne pouvait imaginer autrement que porteur d'une barbe blanche à l'instar de ce Victor Hugo dont il avait vu la photo dans un vieux magazine. De place en place un pêcheur, planté sur la rive comme un vieil arbre, relèverait un instant le front pour admirer au passage l'aisance de ce personnage amphibie. Après le domaine de Saint-Aignan le fleuve infléchissant son cours vers le sud-ouest s'insinue entre des îles, anciens bancs de sable colonisés depuis des décennies par de grands arbres qui faisant front aux crues hivernales y ont planté profondément leurs racines. En bout de course l'embarcation talonnerait sur le sable blanc d'une de ces îles alors que dans le lointain, vers l'est, les sept piles du pont ne seraient plus qu'une rangée de minuscules dominos posés sur la ligne d'horizon. Rassuré par l'absence de pavillon noir à tête de mort flottant sur les lieux, Jacqui poserait un pied conquérant sur la plage et, prudemment, franchirait les buissons de roseaux et d'osier entremêlés de branches mortes apportées par les hautes eaux de l'hiver précédent. Parvenu sous le couvert des grands arbres, curieux et inquiet, il entreprendrait la découverte de son nouveau domaine jusqu'à atteindre la lisière opposée. Alors, dissimulé derrière un massif de viorne, peut-être verrait-il apparaître, venant de l'ouest, foulant pesamment le sable de sa jambe de bois, un personnage barbu vêtu d'une redingote et portant un perroquet sur l'épaule. Le propre des rêves étant d'aplanir les difficultés à priori, il ne se posait évidemment pas la question de savoir avec quelles forces il pourrait vaincre le courant pour revenir à son point de départ. Abandonnant son rêve, il dévala le talus sur la droite pour venir se placer à côté d'Anatole qui, la gaule en main, sa casquette de drap à ras des yeux pour se protéger des rayons du soleil couchant, surveillait le bouchon qui dansait dans l'eau laiteuse. - Dis pépère ça mord ? - Bonjour mon loulou, surtout ne fais pas de bruit, au trou de la laiterie c'est la bonne heure pour les ablettes. La laiterie, dont les bârigoulette. Ce procédé, à mi-chemin entre la pêche sportive et le terrassement, consiste à creuser un petit canal perpendiculairement au fleuve. Les goujons, toujours attirés par le moindre remous de sable, entrent dans le canal dont on ferme l'entrée avec une planche ou un fer de bêche, il ne reste plus ensuite qu'à attraper les visiteurs à la main. Malheureusement les sujets qui se font prendre sont en général immangeables parce que minuscules et finissent assez tristement leur existence comme objet de curiosité dans un pot à confiture en guise d'aquarium. Jacqui s'était assis dans l'herbe aux pieds de son grand-père, la poitrine appuyée sur ses jambes repliées, le menton posé sur ses genoux il fixait le bouchon avec attention. Celui-ci, semblant animé d'une vie propre, sautillait, se déplaçait latéralement puis soudain plongeait comme aspiré par le fond de l'eau. Alors Anatole, d'un mouvement souple du poignet, relevait sa gaule et de la main gauche saisissait le petit corps argenté qui frétillait et allait rejoindre ses congénères dans la boîte en fer blanc. Cela durait depuis quelques minutes quand soudain l'eau parut se soulever, une nuée de nageoires dorsales hérissait la surface de l'eau, en une fuite éperdue le peuple des petits poissons fuyaient devant la menace des rangées de dents acérées du prédateur en quête de son dîner. - Saloperie de brochet, grogna Anatole, pour aujourd'hui c'est fichu ! Allez, on rentre... tiens emporte la friture pour mémère... d'abord tu dois avoir des leçons à apprendre et pour moi je crois me souvenir que j'ai du bois à fendre, allez au bouleau compagnon ! Tournant le dos au soleil couchant le vieil homme et l'enfant remontèrent le talus puis passant devant le grand marronnier s'engagèrent dans la rue du Port.

source : google.com + mots clés = "Maurice Genevois"

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