Le poète de Henri II
"Hymne de Henry, deuxième de ce nom"
Là donc, divines Soeurs, à cette heure
aidez-moi A chanter dignement votre frère mon Roi ! Le Bûcheron qui tient en sa main la cognée, Entré dedans un bois pour faire sa journée, Ne sait où commencer ; ici le tronc d'un Pin Se présente à sa main, là celui d'un Sapin ; Ici du coin de l'oeil marque le pied d'un Chêne, Là celui d'un Fouteau, ici celui d'un Frêne ; A la fin, tout pensif de toutes parts cherchant Lequel il coupera, tourne le fer tranchant Sur le pied d'un Ormeau, et par terre le rue Afin d'en charpenter quelque bonne charrue. Ainsi tenant ès mains le luth bien apprêté, Entré dans ton Palais devant ta Majesté, Tout pensif je ne sais quelle vertu première De mille que tu as sera mise en lumière. Tes vertus, tes honneurs, ta justice et ta foi, Ta bonté, ta pitié d'un coup s'offrent à moi, Ta vaillance au combat, au conseil ta prudence: Ainsi je reste pauvre, et le trop d'abondance De mon riche sujet m'engarde de penser A laquelle de tant il me faut commencer... Il [le Ciel] t'a premièrement, quant à la forte taille, Fait comme un de ces Dieux qui vont à la bataille, Ou de ces Chevaliers qu'Homère nous a peints Si vaillants devant Troie, Ajax et les germains, Rois pasteurs de l'armée, et le dispos Achille, Qui, rembarrant de coups les Troyens à leur ville, Comme un loup les agneaux par morceaux les hachaient Et des fleuves le cours d'hommes morts empêchaient. Mais bien que cet Achille ait le nom de pied-vite, De coureur, de sauteur, pourtant il ne mérite D'avoir l'honneur sur toi, soit à corps élancé Pour sauter une haie, ou franchir un fossé, Ou soit pour voltiger, ou pour monter en selle Armé de tête en pied, quand la guerre t'appelle. Or' parle qui voudra de Castor et Pollux, Enfants jumeaux d'un oeuf, tu mérites trop plus D'honneur que tous les deux, d'autant que tu assembles En toi ce qu'ils avaient à départir ensemble: L'un fut bon chevalier, l'autre bon escrimeur, Seul de ces deux métiers tu as le double honneur ; Car où est l'escrimeur tant soit bon, qui s'approuche De toi sans remporter pour sa honte une touche ? Ou soit que de l'épée il te plaise jouer, Soit qu'en la gauche main te plaise secouer La targe ou le bouclier, ou soit que l'on s'attache Contre toi pour branler ou la pique ou la hache, Nul mieux que toi ne sait comme il faut démarcher, Comme il faut un coup feint sous les armes cacher, Comme l'on se mesure, et comme il faut qu'on baille D'un revers un estoc, d'un estoc une taille. Quant à bien manier et piquer un cheval, La France n'eut jamais, ni n'aura ton égal, Et semble que ton corps naisse hors de la selle Centaure mi-cheval, soit que poulain rebelle Il ne veuille tourner, ou soit que façonné Tu le fasses volter, d'un peuple environné Qui près de toi s'accoude au long de la barrière, Ou soit qu'à sauts gaillards, ou soit qu'en la carrière, Ou soit qu'à bride ronde, ou en long manié Ta main ait au cheval avec le frein lié Un entendement d'homme, afin de te complaire Et ensemble ébahir les yeux du populaire. D'une sueuse écume il est tout blanchissant, De ses naseaux ouverts une flamme est issant, Le frein lui sonne aux dents, il bat du pied la terre, Il hennit, il se tourne, aucune fois il serre Une oreille derrière et fait l'autre avancer, Il tremble tout sous toi et ne peut ramasser Son vent entre les flancs, montrant par telle mine Qu'il connaît bien qu'il porte une charge divine.
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Pierre de Ronsard (1524-1585)
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